Transformer l’action publique depuis l’intérieur par/avec les premières concernées – l’expérience de « l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes, sexistes, intrafamiliales »
En écho aux travaux de Benjamin Roux concernant « L’art de conter nos expériences collectives », le présent récit poursuit plusieurs intentions. Le fait de mettre en récit cette expérience collective est d’abord guidé par le « désir de rendre visible », « le souhait de donner à entendre une (…) parole » ; mais il est aussi « un acte [qui conduit] à donner sens aux événements (…) pour soi-même comme pour les autres » (Benjamin Roux, 2018, p. 60)1, et au-delà, une manière de faire connaître et reconnaître les « savoirs acquis et produits tout au long de la dynamique collective » et « une volonté de faire trace, par le fait de raconter ce qui a été vécu, pour que cela puisse faire preuve » (p. 79). Raconter pour partager « la capacité d’agir, faire agir » (p. 82).
Les violences psychologiques avaient commencé assez tôt ; après je suis tombée enceinte, et c’est monté crescendo, les violences physiques sont arrivées pendant la grossesse et je me suis dit « oulala, j’attends un bébé, qu’est-ce qui se passe ? est-ce que je vais le perdre ? » Après, ça s’est calmé un petit peu quand il est né.
Et puis ça a repris…
Vendredi 25 novembre 2022. La journée de lancement de « l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes, sexistes, intrafamiliales de l’Hérault » est organisée à l’Hôtel du département. Pour accéder au lieu, on doit passer les deux lourdes et hautes portes de l’entrée principale, puis pénétrer dans le grand salon d’honneur – la plus grande salle du lieu ; le décor est imposant. En entrant, on se retrouve d’abord face au parvis des trois-cent chaises alignées en rang, de plain-pied, presque jusqu’au bas de l’estrade. Sur cette scène l’espace est aménagé de manière conventionnelle pour une conférence : un pupitre et un micro positionnés à la cour, des fauteuils bas et une table de salon meublant la plus grande partie de l’espace, et au jardin mais en contre-bas de l’estrade une table de bar équipée d’une chaise haute. Au-dessus, surplombant le tout, un écran lumineux, géant, rappelle le titre de la journée et diffusera plus tard l’image des personnes qui prendront la parole au pupitre ; ce dispositif de retransmission est répliqué par deux autres écrans, de taille plus réduite, positionnés de part et d’autre, restituant la même image, destinés aux sièges situés aux extrémités de la salle. Enfin, pour atteindre le café d’accueil, il faut longer le grand rectangle dessiné par les chaises et se rendre à l’espace situé tout à fait à droite et regagner le buffet. Dans ce secteur, sont disposés les panneaux d’une exposition, agencement de photos – des personnes en pied ou plus souvent des fragments en posture de travail, des vues de dos, principalement des femmes, des mains en mouvement, des nuques – de dessins d’enfants et de textes qui compilent à la fois des informations générales sur les phénomènes de violences faites aux femmes, et à la fois des portions de récits, des paroles, des verbatims.
La secrétaire, au départ, je suis allée la voir pour un problème de séparation. En fait, elle m’a tout de suite aiguillée vers la juriste – et c’est elle qui a mis les mots. Et là c’est une grosse gifle, quand on vous dit : “vous vivez des violences conjugales psychologiques”. Elle pose des mots sur ce qui était des alertes depuis quatre ans, et là on se dit : « bon, d’accord. »
Je suis arrivé très tôt pour finaliser les préparatifs qui n’ont pas pu être bouclés la veille. Il est 8h45 et après avoir installé mon ordinateur en attente sous l’estrade, prêt à être mis en route pour effectuer la présentation de l’Observatoire, je tente de repérer au milieu de la foule qui grossit les visages de celles qui composent le collectif de femmes, à la fois femmes victimes ou anciennement victimes de violences et femmes professionnelles, dont l’engagement pendant presque deux ans a permis de mettre sur pied cet Observatoire. Elles ont été 46 à souhaiter contribuer aux travaux depuis leur expertise spécifique, singulière, issue de leur expérience des violences et de l’usage des dispositifs2. Je les retrouve ici avec beaucoup de plaisir, partageant a
1Roux, Benjamin. 2018. L’art de conter nos expériences collectives, Faire récit à l’heure du storytelling. Les éditions du commun. https://www.editionsducommun.org/products/l-art-de-conter-nos-experiences-collectives-benjamin-roux
2Parmi les 46 femmes qui ont participé au moins une fois aux rencontres organisées pour construire les bases de l’Observatoire, 22 ont souhaité s’impliquer en tant que victimes ou anciennes victimes de violences conjugales et/ou intrafamiliales et sexistes. 24 ont souhaité s’impliquer dans le projet en tant que professionnelles appartenant au champ du travail social. L’absence d’homme dans ce projet peut s’expliquer par le fait qu’au sein des structures ou fonctions sollicitées pour s’associer au projet (associations présentes sur le territoire de Béziers, fonctions d’Intervenantes Sociales en Commissariat et Gendarmerie et fonctions d’animation des Réseaux Violences Intra-Familiales – VIF – répartis sur les différents territoires de l’Hérault et gérés par deux associations – CIDFF et Via Voltaire), aucun poste n’était occupé par un homme. Plusieurs rencontres ont été organisées sur une modalité non-mixte avec les professionnelles d’un côté (cinq rencontres) et avec les premières concernées de l’autre (six rencontres), puis quatre rencontres ont permis d’associer les deux catégories d’acteurices.